Retour sur la Lune : la Russie et la Chine veulent une base commune

Alors que le programme Artémis de la NASA doit permettre à des astronautes américains de marcher de nouveau sur la Lune dans quelques années (pour l'instant, c'est toujours prévu pour fin 2024) après un demi-siècle de désertion humaine de notre voisine, les autres puissances spatiales tournent également leurs regards vers notre satellite pour de futurs vols habités. 

Deux pays ambitionnent particulièrement d'envoyer des Hommes sur la Lune d'ici une dizaine d'années : la Chine et la Russie. Et comme pour les Etats-Unis, il ne s'agit pas d'y aller simplement pour quelques missions et de s'arrêter (comme Apollo en son temps), il s'agit de mener une exploration durable de l'astre en y implantant une base. Et ça tombe bien, il a été annoncé il y a quelques semaines que la Russie et la Chine coopéreront justement sur une base commune.


L'annonce a été faite le 9 mars dernier par un communiqué commun de Roscosmos, l'agence spatiale russe, et de la CNSA, l'agence spatiale chinoise. Le mémorandum signé ce jour-là établit le projet de construire ensemble une base de recherche sur la Lune, c'est-à-dire d'installer des infrastructures permettant l'exploration automatique et la présence d'astronautes pour de longues durées à la surface de l'astre ou autour de celui-ci, peut-être sur le modèle de ce que la NASA est en train de mettre doucement en place avec la LOP-G. 

Tout cela s'inscrit dans une optique plus générale de coopération spatiale (et économique) entre la Chine et la Russie. 

Pour l'instant, aucune date concrète n'est encore donnée sur le moment où cette station russo-chinoise devrait commencer à entrer en service mais l'on peut imaginer que ce sera probablement aux alentours du début des années 2030, puisque c'est à cette époque-là que Moscou et Pékin espèrent pouvoir faire débarquer leurs premiers astronautes respectifs à la surface de la Lune.

D'après les plans actuels de la Russie sur la question, elle devrait effectuer son premier débarquement humain sur la Lune en 2031. La Chine, quant à elle, ne donne pas d'objectif précis mais le délai à 2036 avait circulé (c'est très loin encore mais probablement que des taïkonautes fouleront le sol lunaire un peu avant, quelque part entre 2032 et 2034). 

Un concept pour une mini-base lunaire de la NASA datant de 1993. Aussi vieux que moi donc.

Une chose intéressante à retenir également de cette annonce est le fait que la Chine et la Russie se déclarent ouvertes à ce que des partenaires internationaux puissent participer à ce projet, ce qui est fort appréciable pour le bénéfice de l'exploration humaine de la Lune au plus grand nombre. Cela pourrait donc permettre à d'autres puissances spatiales d'avoir une présence d'astronautes régulière durable autour et sur notre satellite. Je pense en particulier à l'Europe - et par voie de conséquence à la France - qui est déjà impliquée aussi dans le programme Artémis de la NASA, avec le Japon et le Canada. Si l'on peut être déjà assez confiant dans le fait qu'un Français pourra avoir marché sur la Lune d'ici la fin de la décennie au cours d'une mission Artémis, l'on sait bien qu'il n'y a pas énormément de places pour les astronautes partenaires des Etats-Unis.

Thomas Pesquet, premier Français sur la Lune ? Moi j'y crois à fond ^^ !

De plus, considérant la façon de penser des Américains, leur volonté de toujours aller vite et les coûts monstrueux qui seront ceux d'Artémis, on peut légitimement douter que l'ambition de la NASA de retourner sur la Lune pour, cette fois-ci, y rester puisse être VRAIMENT tenue (le plus probable, à mon avis, est qu'Artémis, aussi passionnantes et géniales à suivre que seront ses missions, se contentera de tester le plus vite possible tous les éléments que l'on a besoin de maitriser pour envoyer ensuite des Hommes vers Mars). Avec la base sino-russe, cela pourrait donc donner une chance de plus à l'Europe de pouvoir avoir des marcheurs lunaires (et marcheuses, espérons-le) dans l'avenir, même une fois que le programme Artémis de la NASA se sera arrêté. 

La France a d'ailleurs une bonne perspective devant elle puisqu'un instrument français sera présent dans la prochaine sonde lunaire chinoise, Chang'e 6, qui doit se poser sur notre satellite en 2023 ou 2024 et effectuer un retour d'échantillons. 

Au-delà de la France et de l'Europe, on peut même imaginer que cette ouverture internationale du projet sino-russe de base lunaire pourra permettre à des pays nouveaux sur la scène spatiale d'avoir la chance de participer à cette exploration lunaire et d'avoir, à long terme, des astronautes à eux qui marcheront sur la Lune. Je pense notamment à certains membres de l'ESA (la Belgique, l'Espagne, la Suisse, la Suède, etc) qui n'ont pas eu des citoyens dans l'espace depuis longtemps ou à la Turquie dont le président Erdogan vient d'affirmer des ambitions fortes pour que ce pays devienne une grande puissance spatiale.  


Le moins que l'on puisse dire est que les choses s'engagent très bien pour l'exploration humaine de la Lune, surtout que notre voisine ressort d'une longue période de désamour de la part des Terriens à la fin du XXe siècle. En effet, après la dernière mission Apollo en 1972 et la dernière mission soviétique Luna en 1976, plus personne ne semblait s'intéresser à la Lune et il n'y eut pas de mission automatique pendant une vingtaine d'années. Depuis la fin des années 2000, on assiste cependant à un véritable retour en grâce de la Lune, qui est désormais le centre de toutes les attentions. Le nombre de sondes envoyées jusqu'à elle a significativement augmenté depuis une dizaine d'années et de nouveaux pays se joignent à la fête comme l'Europe, la Chine, le Japon, l'Inde et l'Israël. 

Et le vol habité a fini par repointer le bout de son nez également. Comme dit plus haut, la désertion de la Lune aura duré un demi-siècle mais les Hommes vont bien revenir bientôt sur l'astre et de façon bien plus durable que ce qui avait pu être fait à l'époque des missions Apollo qui, rappelons-le, s'étaient terminées prématurément puisque les trois dernières missions que les Etats-Unis devaient faire, Apollo 18, Apollo 19 et Apollo 20, furent malheureusement annulées en 1970 à cause de restrictions budgétaires infligées à la NASA. Ce fut d'ailleurs, et ce n'est que mon avis, l'une des pires erreurs de politique spatiale de l'Histoire étant donné que le programme n'aurait de toute façon pas été plus loin qu'Apollo 20 et qu'une partie du matériel pour ces trois missions était déjà prête (ce qui n'aurait donc pas coûté si cher que ça comme dépense supplémentaire). 

Les Etats-Unis vont donc revenir sur la Lune, accompagnés de l'Europe, du Japon et du Canada. Ensuite viendra le tour de leur coté de la Chine et de la Russie, accompagnés sans doute eux aussi de partenaires. Enfin, si l'on regarde encore un peu plus loin, disons la fin des années 2030 et le début des années 2040, ce sera probablement l'Inde qui enverra par elle-même des Hommes sur la Lune. 

Le nombre de marcheurs lunaires va donc considérablement augmenter, passant d'ici vingt ans de douze à une bonne cinquantaine. Même les passionnés comme moi qui gardent en tête les noms de tous ces hommes et femmes ne pourront peut-être pas tous les mémoriser ^^ !  

Et une fois n'est pas coutume, je remets, par souci de justice historique, les noms de TOUS les astronautes ayant déjà marché sur la Lune : 
  1. Neil Armstrong (1930-2012), Apollo 11 (juillet 1969)
  2. Edwin Aldrin (né en 1930), Apollo 11 (juillet 1969)
  3. Charles Conrad (1930-1999), Apollo 12 (novembre 1969)
  4. Alan Bean (1932-2018), Apollo 12 (novembre 1969)
  5. Alan Shepard (1923-1998), Apollo 14 (janvier-février 1971)
  6. Edgar Mitchell (1930-2016), Apollo 14 (janvier-février 1971)
  7. David Scott (né en 1932), Apollo 15 (juillet-août 1971)
  8. James Irwin (1930-1991), Apollo 15 (juillet-août 1971)
  9. John Young (1930-2018), Apollo 16 (avril 1972)
  10. Charles Duke (né en 1935), Apollo 16 (avril 1972)
  11. Eugene Cernan (1934-2017), Apollo 17 (décembre 1972)
  12. Harrison Schmitt (né en 1935), Apollo 17 (décembre 1972)
Quelques autres astronautes devaient marcher sur la Lune au cours de quatre autres missions Apollo mais Apollo 13 fut victime d'un accident et ne put se poser sur la Lune tandis qu'Apollo 18, Apollo 19 et Apollo 20 furent, comme dit précédemment, malheureusement annulées. Pour plus de détails, je vous laisse cet autre article du blog ici


Bien évidemment, tout cela n'a pas qu'une portée scientifique. C'est l'expression également des rapports de force entre les grandes puissances pour la domination du monde de demain. Les Etats-Unis voient la Lune comme la première étape de leur conquête de Mars pour rester le leader spatial (et donc mondial) alors que la Chine vise la Lune pour s'ériger en tant que nouvelle puissance incontournable capable de rivaliser avec les nations dominantes de jadis. 

Les partenaires internationaux n'ont pas l'ambition d'être le n°1 dans ce duel pour la prédominance mondiale mais pourront aisément en tirer leur épingle du jeu pour accomplir de grandes choses sur la Lune et plus généralement dans l'espace. 

Un pays en particulier sera cependant très intéressant à suivre dans cette aventure. En effet, la Russie présente une particularité singulière du fait qu'elle a déjà tenté par le passé d'envoyer des Hommes sur la Lune dans les années 1960 et 1970 mais elle n'y parvint pas, à cause de problèmes financiers, de manque de temps, de désintérêt politique après les missions Apollo américaines et de conflits internes sur la façon de mener le programme à bien. Donc la Russie a, d'une certaine manière, une revanche historique à prendre : si l'URSS d'hier ne pouvait admettre arriver deuxième sur la Lune, la Russie d'aujourd'hui doit se prouver à elle-même qu'elle restera la deuxième nation dans l'Histoire à avoir réussi cet exploit. C'est sans doute pour cela que le premier atterrissage de cosmonautes sur la Lune est prévu vers 2030 ou 2031, c'est-à-dire après le retour des Américains mais un peu avant l'arrivée des Chinois. 

Si exploiter et coloniser la Lune n'a aucun sens (j'ai eu l'occasion d'en parler ici sur un autre blog récemment), une nouvelle ère d'exploration lunaire s'apprête à commencer et ça promet d'être génial à suivre. 


Et qui sait, peut-être c'est ce qu'il se passera également pour Mars dans quelques décennies. Histoire que la première exploration humaine de la planète rouge ne finisse pas comme celle de la Lune au XXe siècle. 


Sources : 
Anonyme, Conquête spatiale : la Russie et la Chine projettent une station lunaire, article publié le 09.03.2021 sur le site paris-normandie.fr
Irina Dmitrieva, Moscou entend collaborer avec Pékin sur la création d'une station lunaire, article publié le 12.02.2021 sur le site fr.sputniknews.com
Le Monde avec AFP, La Russie et la Chine veulent construire ensemble une station sur la Lune, article publié le 10.03.2021 sur le site lemonde.fr
Paul Carcenac, Erdogan veut faire de la Turquie une puissance spatiale, article publié le 10.02.2021 sur le site lefigaro.fr
Lia Rovira, China and Russia will be building a moon base together, article publié le 19.03.2021 sur le site earthsky.org
Andrew Jones, Russia, China to sign agreement on international lunar research station, article publié le 17.02.2021 sur le site spacenews.com


- Tu crois qu'on y retournera un jour ?
- Où ça ?
- Ben sur la Lune.

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