La Lune abandonnée : Apollo 18, 19 et 20

Aujourd'hui, repartons pour la Lune. Dans trois semaines, nous commémorerons les 50 ans du premier pas de l'Homme sur la Lune qui s'est déroulé comme vous le savez le 21 juillet 1969 durant la mission Apollo 11. Après l'extraordinaire promenade de Neil Armstrong et Buzz Aldrin à la surface de l'astre, dix autres hommes firent de même lors de cinq des six missions suivantes, collectant plus de 300 kilogrammes de pierres lunaires, effectuant diverses expériences scientifiques qui aidèrent grandement à modifier en profondeur notre compréhension de la Lune et des origines du Système solaire, et prenant des milliers de photographies de cette épopée qui constitue encore de nos jours en quelque sorte la parenthèse enchantée de l'histoire spatiale. Nous pouvons de plus d'autant plus reparler de notre bonne vieille compagne de route que l'actualité s'y prête bien puisque le programme lunaire américain, désormais connu sous le nom approprié d'Artémis, commence à se mettre sur pied pour renvoyer des êtres humains sur notre bon vieux satellite à l'horizon 2024.
Je ne vais pas résumer davantage ce que fut le programme Apollo et j'y reviendrai ici en temps voulu dans quelques semaines. Rappelons juste qu'après tous ces succès de l'astronautique américaine, les voyages humains sur la Lune prennent fin en décembre 1972 avec la mission Apollo 17, qui voit Eugene Cernan et Harrison Schmitt être les deux derniers Hommes à fouler notre satellite au XXe siècle.

Après Apollo 8 et Apollo 10, sept missions eurent pour objectif de déposer des Hommes sur la Lune. Six réussirent. 

Mais avant que la Lune ne soit abandonnée pendant plusieurs décennies puis de revenir ENFIN sur le devant de la scène avec le nouveau programme Artémis, il faut savoir que cette ultime mission lunaire que fut Apollo 17 ne devait pas être ce qu'elle fut finalement dans l'Histoire. En effet, au moment où Armstrong et Aldrin partent pour la Lune ce 16 juillet 1969, le programme Apollo compte un peu plus de missions prévues à son planning. Comme on le sait, il y a eu Apollo 11, Apollo 12, Apollo 13, Apollo 14, Apollo 15, Apollo 16, Apollo 17… mais devaient partir pour la Lune également les missions Apollo 18, Apollo 19 et Apollo 20.
Pourquoi le conditionnel est-il employé dans la phrase précédente ? Eh bien parce que ces trois missions ne partirent jamais pour notre satellite. Elles furent en effet annulées toutes les trois en 1970 pour diverses raisons que nous évoquerons plus loin.

Ne manquons jamais une occasion de rappeler les noms de tous les hommes ayant marché sur la Lune dans le cadre du programme Apollo : 

Apollo 11 : Neil Armstrong et Buzz Aldrin
Apollo 12 : Pete Conrad et Alan Bean
Apollo 14 : Alan Shepard et Edgar Mitchell
Apollo 15 : David Scott et James Irwin
Apollo 16 : John Young et Charles Duke
Apollo 17 : Eugene Cernan et Harrison Schmitt
En 1969, il est prévu qu'Apollo 18, 19 et 20 partent en 1972. Les dates prévues de ces missions ont ensuite été changées après l'incident d'Apollo 13 en avril 1970 qui manqua de peu de coûter la vie à ses trois astronautes et entraîna un retard dans la suite du programme. Pour ce qui aurait dû se faire, on peut dire que la mission Apollo 18 serait partie durant l'année 1973 en direction du cratère lunaire Copernicus (on mentionne aussi la vallée de Schroter ou le cratère Gassendi) et ses deux astronautes qui auraient marché sur la Lune auraient probablement passé plus de temps sur notre voisine que durant Apollo 17 et les résultats scientifiques auraient été conséquents.
Le cratère lunaire Copernicus où Apollo 18 aurait atterri...

On notera sur cette mission Apollo 18 que Harrison Schmitt, le seul géologue à avoir marché sur la Lune, devait d'abord participer à cette mission-ci et non pas à la précédente, Apollo 17. Mais du fait de l'annulation des dernières missions, la communauté scientifique américaine poussa à ce qu'un scientifique de formation parte au moins une fois pour une exploration plus approfondie et professionnelle sur la Lune. Schmitt fut transféré sur Apollo 17 et devint le dernier être humain à poser le pied sur la Lune au siècle dernier.
Après Apollo 18, Apollo 19 devait à son tour s'envoler pour la Lune en 1973 (après un changement de date, comme pour Apollo 18). Le site lunaire choisi par la NASA était celle du mont Hadley, une région finalement explorée durant l'été 1971 par les astronautes d'Apollo 15 David Scott et James Irwin (on mentionne aussi dans la course la rille Hyginus et le cratère Copernicus).
Le site de Mons Hadley où Apollo 19 aurait atterri...
On notera sur l'équipage que Fred Haise, qui était astronaute sur la mission catastrophique Apollo 13 en 1970, devait repartir vers la Lune et enfin marcher sur celle-ci durant cette mission. Mais ce ne fut jamais le cas, du fait de l'annulation de la mission Apollo 19.
Enfin, une ultime mission était originellement prévue : Apollo 20. Dernier voyage prévu des Hommes vers la Lune, il aurait eu pour site d’atterrissage le grand cratère Tycho (ou le cratère Copernic) probablement en 1974 et aurait probablement battu tous les records établis par les missions lunaires précédentes. Une conclusion en apothéose en somme pour le programme lunaire américain initié par le président Kennedy.
Le cratère Tycho qui aurait dû servir de décor aux explorations des astronautes d'Apollo 20...
Mais alors pourquoi ces trois missions prévues par la NASA ne sont-elles jamais parties pour la Lune ? Les raisons sont multiples mais liées à la politique des Etats-Unis. Vous n’êtes pas sans savoir que la conquête de l'espace eut lieu dans le contexte de la Guerre Froide entre les USA et l'URSS, avec une forte concurrence idéologique entre le capitalisme triomphant de l'Occident et la doctrine communiste de l'Union Soviétique. La course aux armements se muant en parallèle à une course à l'espace, l'effort dans la conquête de la Lune faisait sens et justifiait pour le Congrès les sommes folles engagées dans le programme Apollo. Mais une fois l'objectif atteint ce fameux 21 juillet 1969 avec les premiers pas de Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur notre satellite et l'URSS battue dans ce domaine (le programme lunaire soviétique N1-L3 ne parviendra d'ailleurs jamais par la suite à déposer des russes sur la Lune et sera abandonné par le pouvoir communiste dans les années 1970), le programme Apollo se trouva bien vite ôté de sa raison d'existence. Dès lors, pour les politiciens et le contribuable américain il est temps de ranger les fusées, surtout vu le prix qu'elles coûtent et d'autant plus que le bourbier de la Guerre du Vietnam bat son plein à cette même période et consomme beaucoup de fonds. 

Le budget de la NASA est donc déjà grignoté par les hommes politiques dès les premiers mois qui suivent l'exploit de l'été 1969. C'est ainsi qu'en janvier 1970, du fait des coupes budgétaires d'ores et déjà infligés à l'agence spatiale, il est annoncé que la mission Apollo 20 est annulée. Mais l'incident d'Apollo 13 en avril 1970 rajoute un élément de plus pour justifier l'arrêt du programme Apollo dans l'esprit du politique lambda américain. En effet, après le sauvetage in extremis de Jim Lovell, Fred Haise et Jack Swigert, on tend à reconsidérer la sécurité de ces voyages sur la Lune. Un autre accident durant une mission lunaire serait un drame planétaire et le gouvernement des Etats-Unis ne peut pas prendre un tel risque pour l'image du pays. En conséquence, quelques mois après la semaine Apollo 13, la NASA annonce qu'Apollo 18 et Apollo 19 sont elles aussi annulées. L'administration Nixon ira jusqu'à vouloir annuler aussi Apollo 16 et Apollo 17 pour que l'on planche le plus vite possible sur le projet de la navette spatiale (plus économique par définition que le programme lunaire) mais l'on parvint à lui faire entendre raison, ne serait-ce que pour la préservation de l'industrie aéronautique et astronautique dans les états où se trouvent les entreprises qui travaillent avec la NASA dans la conception et le développement des véhicules spatiaux.

C'est ainsi que Harrison Schmitt et Eugene Cernan se retrouvèrent désignés pour être les deux derniers Hommes à marcher sur la Lune au XXe siècle. Avant de remonter dans LM pour quitter la surface sélène, Cernan dévoila une plaque sur l'un des pieds de l'engin et prononça ces quelques mots : "[…] Alors que je fais le dernier pas de l'Homme depuis la surface - pour pas trop longtemps je l'espère -, j'aimerais simplement dire ce que je pense que l'Histoire retiendra. Ce défi que l'Amérique a lancé aujourd'hui a forgé le destin de l'homme de demain. Et, lorsque nous quittons la Lune à Taurus-Littrow, nous partons comme nous sommes venus et, si Dieu le veut, à notre retour, dans la paix et l’espoir pour l’humanité tout entière […]"

"Un petit pas pour un homme, un bond de géant pour l'Humanité" ? La politique en décida autrement...

L'histoire des missions annulées Apollo 18, 19 et 20 révèle bien le fonctionnement qui reste encore hélas aujourd'hui celui des explorations habitées de l'espace. Si la science y a une place plus importante que par le passé, il ne faut jamais oublier que ces projets sont surtout l'occasion pour les grandes puissances de montrer leurs capacités et maîtrises technologiques face à des concurrents, et l'on sait fort bien que les intérêts des hommes politiques changent rapidement. Ayant cela à l'esprit, on peut cependant espérer que le programme Artémis qui se met tranquillement en route aux Etats-Unis pour repartir vers la Lune saura échapper à la règle.
Rêvons ainsi que la nouvelle exploration de la Lune constituera dans quelques années non pas une nouvelle parenthèse enchantée mais une nouvelle phase de l'histoire spatiale…

Commentaires

  1. C'est curieux mais pour les sites d'alunissages que vous mettez, je ne trouve pas les mêmes. Dans le livre de Serge Brunier, je trouve la vallée de Schröter pour Apollo 18 et Copernicus pour Apollo 20. C'est normal ?

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    1. Alors oui, je connais ça.

      En fait, pour mon article, j'ai pris l'option la plus probable. Ou du moins celle que j'ai vu le plus revenir en cherchant pour écrire mon article.

      On peut noter que les uns comme les autres seraient encore de bons sites d'explorations pour les futures missions Artémis. L'administrateur de la NASA a déclaré voici quelques semaines que si c'était trop court pour 2024, la première mission pourrait éventuellement aller se poser sur un ancien site d'une mission Apollo.

      Mais on peut aller encore un peu plus loin et aller carrément sur l'un des sites qui auraient dû servir pour Apollo 18, Apollo 19 et Apollo 20. Ce serait intéressant et mettrait encore plus en avant la filiation entre Apollo et Artémis.

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