Polémique sur le statut de Pluton, épisode 687

Comme vous le savez, jusqu'en 2006 le Système solaire comptait neuf planètes. Ces neufs astres que nous apprenions à l'école et qui sont autant de figures du panthéon de la culture scientifique étaient Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton. Mais la dernière d'entre elles suscitait la polémique depuis sa découverte par l'américain Clyde Tombaugh en 1930. Longtemps exception dans la liste des planètes, Pluton se révéla à la fin du XXe siècle être le plus grand représentant d'une vaste famille de petits astres qui gravitent au-delà de l'orbite de Neptune. La question de la similitude des plus gros avec Pluton amena à s'interroger sur le fait qu'on doive les considérer eux aussi comme des planètes. Finalement, après de longs et houleux débats, l'Union Astronomique Internationale décida en 2006 de rétrograder Pluton au rang de planète naine. 

Il fallut quelques temps pour s'adapter à cette nouvelle vision du Système solaire mais tout le monde accepta l'exclusion de Pluton du rang de planètes. Tout le monde ? Non ! Car un petit groupe d'astronomes américains résistent encore et toujours à la définition des planètes de l'UAI. 


En effet, dès le lendemain de ce fameux 24 août 2006, une partie de la communauté scientifique américaine entra en résistance pour défendre la malheureuse planète Pluton et tenter par tous les moyens de lui rendre son statut. "Make Pluto Great Again" en somme. Cela fait donc une bonne dizaine d'années maintenant que cette histoire resurgit de temps à autre. Le principal axe de contestation est le dernier critère dans la définition de l'UAI des planètes. 

Pour l'UAI, une planète doit : 

1. Etre en orbite autour du Soleil.
2. Avoir une forme sphérique.
3. Avoir nettoyé le voisinage de son orbite. 

C'est ce dernier point qui a conduit au déclassement de Pluton, puisque celle-ci n'a pas dégagé la région dans laquelle elle évolue, la ceinture de Kuiper étant peuplée de nombreux objets significatifs par rapport à l'ex-neuvième planète, tels que Hauméa, Makémaké, Orcus, Quaoar, 2007 OR10 ou encore Éris. Si la communauté scientifique internationale est tombée d'accord avec cela, les dissidents ont toujours autant de mal à l'avaler. 

Dernier exemple en date, une étude dirigée le planétologue américain Philip Metzger de l'Université UFC (Floride) et publiée dans le journal Icarus voici quelques jours. Il affirme que la définition de l'UAI ne serait en fait utilisée par personne parmi les astronomes. Selon sa recherche, on ne trouve un semblable critère que dans un seul et unique document qui date de 1802. 

Histoire de bien faire comprendre qu'il n'est pas d'accord avec le déclassement de Pluton par l'Union Astronomique Internationale, le planétologue explique : 

"La définition de l'UAI voudrait dire que l'objet fondamental de la science planétaire, la planète, est supposé être défini sur la base d'un concept que personne n'emploie dans ses recherches. Et cela mettrait de coté la deuxième planète la plus complexe et la plus intéressante du Système solaire. Nous avons à présent une liste de plus de cent exemples récents de scientifiques des planètes utilisant le terme "planète" d'une façon qui viole la définition de l'UAI, mais ils le font parce que c'est utile fonctionnellement." 

Selon sa recherche, la distinction entre planètes, lunes et astéroïdes ne remonterait qu'aux années 1950 et proviendrait des travaux de l'astronome Gerard Kuiper (1905-1973), qui théorisa notamment l'existence (passée) de la ceinture qui porte aujourd'hui son nom. Metzger et ses petits camarades contestataires proposent de limiter la définition d'une planète uniquement au critère de la sphéricité d'un objet, puisque le concept du nettoyage de l'environnement ne serait pas viable. Le fait qu'un objet soit rond mettrait en avant ses caractéristiques propres et non pas l'idée d'appartenance à une population et la localisation de son orbite dans le Système solaire. 

"Ce n'est pas juste une définition arbitraire, cela s'avère être une étape importante dans l'évolution d'un corps planétaire car il semble que, lorsque cela arrive, cela déclenche une géologie active dans l'astre. [Pluton] est plus dynamique et vivante que Mars. La seule planète qui possède une géologie plus complexe que Pluton, c'est la Terre." 

Et c'est ainsi que l'on en revient une énième fois à la question spécifique du statut de Pluton qui semble tant obséder une partie (mineure) de la communauté scientifique étasunienne. 

Tout ce débat et les contestations mineures que cela entraîne depuis tant et tant d'années n'ont pour origine que le fait que Pluton fut découverte par un astronome américain et qu'elle fut une planète durant plus de soixante-quinze ans. Si Pluton avait été découverte le 13 novembre 1993 (date choisie complètement au hasard), avec les premiers objets transneptuniens, elle n'aurait jamais été considérée comme une planète et le débat sur lequel ces astronomes dissidents perdent tant de temps n'aurait jamais vu le jour.


Il est vrai que Pluton s'est révélée ne pas être du tout un monde mort, comme on aurait pu le penser il y a encore dix ans. Il y a quelques mois ont ainsi été découvertes des dunes de méthane à la surface de l'astre. Ces dunes sont formées par des grains de glace de méthane, qui remplacent en quelque sorte le sable que nous connaissons sur notre bonne vieille Terre. Malgré l’extrême ténuité de l'atmosphère plutonienne (100 000 fois plus faible que celle de la Terre), des vents pourraient y souffler à une trentaine de kilomètres par heure et suffiraient à causer ce phénomène. De plus, il semble que ces dunes soient géologiquement assez jeunes et pourraient avoir moins d'un million d'années seulement. 

Cependant, l'activité d'un astre pourrait-elle justifier que ce soit une planète ? La définition de l'UAI est-elle vraiment mauvaise ? En France, vous ne trouverez pas un spécialiste de la question qui rejoindra le point de vue des dissidents qui veulent absolument que Pluton redevienne une planète. Et ce pour des raisons simples : 

1. Le concept de nettoyage du voisinage a déjà existé longtemps avant l'"affaire Pluton". 

En effet, c'est peu connu mais une semblable problématique a surgi au milieu du XIXe siècle. Suivant les principes de la loi de Titius-Bode, la recherche d'une nouvelle planète entre Mars et Jupiter mena à la découverte de Cérès en 1801. L'objet est tout petit (960 kilomètres de diamètres) et présente une orbite plus inclinée et excentrée que les autres planètes connues à l'époque. Dans la même décennie, trois autres objets furent ensuite découverts : Pallas en 1802, Junon en 1804 et Vesta en 1807. Le Système solaire est donc alors composé de 11 ans planètes.

Le Système solaire de l'époque est donc composé ainsi, de la planète la plus proche du Soleil à la plus éloignée : Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Vesta, Junon, Cérès, Pallas, Jupiter, Saturne et Uranus. La grande majorité des astronomes est d'accord là-dessus durant la premier moitié du XIXe siècle. 

Cependant, dès 1802, le célèbre astronome William Herschell proposa de distinguer ces  quatre nouveaux objets des planètes car alors que les planètes sont grosses et solitaires sur leurs orbites respectives, Cérès, Pallas, Junon et Vesta sont minuscules et gravitent près les unes des autres avec des trajectoires excentriques et inclinées qui se chevauchent même si on les rapporte sur l'écliptique. Si ce point de vue fut très minoritaire durant une cinquantaine d'années, il devint la norme parmi les astronomes à partir des années 1850, lorsque l'on découvrit enfin de nouveaux objets entre Mars et Jupiter. Ces petits astres ne sont donc plus considérés comme des planètes mais comme des astéroïdes, nomenclature qui fini par s'imposer à cette époque.  

C'est exactement ce qu'il s'est passé pour Pluton au début du XXIe siècle. 

Dans la même idée, si les grands satellites des planètes furent considérés un temps comme des planètes comme les autres, la distinction a fini par s'imposer au début du XVIIIe siècle. 

Le satellite tourne autour de la planète. La planète tourne autour du Soleil. Tout simplement. 

2. Le concept de nettoyage du voisinage ne contredit pas le processus de formation planétaire. 

Pris comme il est résumé, le dernier critère de la définition de l'UAI peut sembler fort peu compréhensif et bancal. Or, il est en réalité quantifiable et logique. Dans le processus de formation des planètes, il arrive un moment où les planétisimaux principaux vident l'espace autour d'eux, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que quelques uns, les planètes définitives. Tous les objets rivaux dans la région d'une planète sont capturés, détruits dans une collision ou expulsés (sur une nouvelle orbite plus lointaine ou bien carrément éjecté du système).

Il n'y a pas de planète de la taille de la Terre à coté de la Terre ou sur une orbite qui la croise. 
Il n'y a pas de planète de la taille de Mercure à coté de Mercure ou sur une orbite qui la croise.
Il n'y a pas de planète de la taille de Vénus à coté de Vénus ou sur une orbite qui la croise.
Il n'y a pas de planète de la taille de Mars à coté de Mars ou sur une orbite qui la croise.
Il n'y a pas de planète de la taille de Jupiter à coté de Jupiter ou sur une orbite qui la croise.
Il n'y a pas de planète de la taille de Saturne à coté de Saturne ou sur une orbite qui la croise.
Il n'y a pas de planète de la taille d'Uranus à coté d'Uranus ou sur une orbite qui la croise.
Il n'y a pas de planète de la taille de Neptune à coté de Neptune ou sur une orbite qui la croise.

Ce sont des planètes.

En revanche, il y a tout un tas d'objets du gabarit de Pluton dans la région de Pluton ou qui peuvent croiser sa route. 

Ce n'est pas une planète. 

Tout simple. Il faut cependant se rappeler que la définition de l'Union Astronomique Internationale se limite d'elle-même au seul cas du Système solaire et ne prend pas en compte les exoplanètes. Cependant, malgré la grande diversité des planètes extrasolaires, elles ne remettent pour l'instant pas en cause le dernier critère de la définition de 2006. 


Pour conclure, on peut dire que ce nouvel épisode n'aura probablement pas d'impact sur la bonne définition de l'UAI. Il n'y a que quelques astronomes pour encore vouloir à tous prix que Pluton soit une planète, pour justifier des crédits supplémentaires ou une visibilité de la recherche. 

A titre personnel, j'aurais préféré que notre chère Pluton restât une planète et que l'on se contente à l'époque de suivre la première proposition du Minor Planet Center en 1999 : couper la poire en deux en considérant cette neuvième planète comme étant à la fois une planète pour des raisons historiques et un objet transneptunien du fait des progrès de la science. Les astronomes auraient gardé Pluton dans son statut avec un degré variable et tout le monde y aurait trouvé son compte. Plus important, la polémique aurait été close avant de devenir passionnelle et ne reviendrait pas continuellement parasiter la réflexion sur les merveilles que recèle l'astre découvert un beau jour de février 1930 par Clyde Tombaugh. 


Le fait que l'on parle de "planète" pour qualifier une planète, une planète naine, un astéroïde ou un satellite n'est qu'un abus de langage utilisé pour simplifier. Les astronomes français qui le font ne remettent jamais en cause la définition de l'UAI. C'est aussi simple que ça. 

Cela n'a pas un grand intérêt scientifique mais cela témoigne d'une chose : la place particulière qui est celle de Pluton dans le cœur des astronomes et des amateurs d'astronomie.  

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